UN PEUPLE ET SON ROI: une fresque réaliste et modeste de l’épopée de la Révolution

Hello tout le monde!

Aujourd’hui je reviens pour vous parler d’un film que j’ai attendu de voir avec beaucoup d’impatience et qui, comme par hasard, est sorti à un moment de ma vie où je me pose beaucoup de questions sur son sujet: la Révolution Française. Si vous êtes passés au cinéma dernièrement vous devez vous douter de quel film il s’agit: Un Peuple Et Son Roi, de Pierre Schoeller.

Je pose la bande-annonce ici, si vous ne l’avez pas vue, histoire que tout le monde ait un aperçu de ce dont on va parler aujourd’hui (même si à mon avis elle ne fait pas passer tout à fait le même message que le film entier).

Des films sur la Révolution, en France, on en a fait une paire, dont une fresque épique de six heures (rien que ça) sortie en 1989. En effet, il s’agit d’un sujet sensible et profondément ancré dans notre identité nationale bien sur mais aussi dans l’identité personnelle de chaque Français, quelque soit son opinion à son sujet. Que l’on soit robespierriste ou non, de droite ou de gauche, du « peuple » ou des classes aisées, tout le monde s’accorde à dire que la Révolution est la pierre angulaire de notre société, la genèse de la France contemporaine, l’héritage commun de tous ses enfants, de tous les Français d’aujourd’hui. La première date historique que l’on apprend à l’école: le 14 Juillet 1789, jour de la Prise de la Bastille. Ce que l’on nous en dit au collège: la Révolution a fait de la France le pays de la Liberté, de l’Égalité et de la Fraternité, de la souveraineté populaire, le modèle mondial de la république démocratique moderne, elle a libéré le peuple français de l’oppression tyrannique des Bourbons et de l’obscurantisme de la foi chrétienne, etc, etc. Le tableau qu’on nous brosse de la Révolution jusqu’au bac est à peu près celui peint par Delacroix dans La Liberté guidant le peuplebig.jpg

Tableau reluisant destiné à inculquer à tous les jeunes Français les idéaux révolutionnaires qui fondent toujours et encore leur Nation, leur Patrie. Je dois dire que ces idéaux ont pris racine en moi comme en chacun de nous: quel bonheur et quelle chance d’être libres et d’être égaux! Cependant, mon éveil à l’Histoire (j’adore ça depuis toute petite) et au scepticisme nécessaire à tout scientifique et donc aussi à l’historien ont gravé dans ma mémoire, sans que je les comprenne vraiment, des événements qui me paraissaient trahir ces idéaux: pourquoi le Roi aurait-il ressenti le besoin de fuir? Pourquoi a-t-on laissé mourir le petit Louis XVII au cachot? Quelle horreur que cette guillotine? Et puis pourquoi ne nous parle-t-on pas plus de la Terreur, je comprends pas bien ce que c’est mais ça me fait peur… Voilà les questions qui résonnaient dans ma tête quand j’apprenais mon cours en quatrième et qui sont restées en suspens, sans véritable réponse… jusqu’à l’année dernière. En effet, on a abordé le sujet en cours d’Histoire et en prépa, on a enfin droit aux faits, à tous les faits, dans l’ordre et à se questionner sur ce qu’ils impliquent. Ce cours a chamboulé tout ce que je croyais avoir compris de la Révolution et réveillé mes craintes quant à sa nature. La prise des Tuileries en Août 1792, la répression en Vendée en Quatre-Vingt Treize, la Terreur, la guillotine « infâme machine », la prise de pouvoir de Robespierre, la bonté maladroite de Louis XVI, le fait qu’on puisse se demander si la Révolution a vraiment émané du peuple français tout entier ou seulement du petit peuple parisien, la loi des suspects, autant d’éléments qui ont glacé mon sang de Française et qui m’ont donné l’envie, voire le besoin, de comprendre en profondeur ce que fût la Révolution, qui étaient vraiment Robespierre, Danton, Saint-Just, Louis XVI, qui était le peuple français, comment les événements se sont déroulés, pourquoi, où, comment, qu’est-ce que la Révolution: « une grande lumière mise au service d’une grande justice » ou bien un épisode sanglant de l’Histoire de France, un meurtre des Français par la France elle-même?

Même si je ne prétend pas avoir fait le tour du sujet, j’ai appris à sortir de cette vision manichéenne des choses (la Révolution, finalement, est-elle bonne ou mauvaise?) pour me rendre compte que la situation est bien plus complexe que cela. Il suffit de se dire que Robespierre, à l’origine, était contre la peine de mort pour saisir la complexité de la situation: « Louis doit mourir, parce-qu’il faut que la patrie vive. » (Discours de Robespierre à la Convention le 3 décembre 1792). On peut aussi écouter ce qu’en disent les grands auteurs qui ont suivi:

  • « Certes c’est un répugnant scandale d’avoir présenté, comme un grand moment de notre histoire, l’assassinat publique d’un homme bon. Cet échafaud ne marque pas un sommet, il s’en faut. », écrit Camus dans l’Homme Révolté. 
  • « Quand on se mêle de diriger une révolution, la difficulté n’est pas de la faire aller, mais de la retenir », dit encore Mirabeau.
  • « La Révolution m’aurait entraîné, si elle n’eût débuté par des crimes: je vis la première tête portée au bout d’une pique et je reculai. », tel est le témoignage de Chateaubriand dans ses Mémoires.
  • Ou enfin, ce avec quoi je suis pour l’instant plutôt d’accord: « Il est de l’essence de l’émeute révolutionnaire d’avoir presque toujours tort dans la forme et raison dans le fond. » -V. HUGO.

La conclusion à laquelle j’en suis venue pour le moment (mais qui changera peut-être au fil de mes études, qui sait) c’est comme l’a dit François Furet, qu’ « il y a deux moyens sûrs de ne rien comprendre à la Révolution française, c’est de la maudire ou de la célébrer ». Choisir un camp, encore aujourd’hui, c’est interdire à la Révolution de prendre fin, de se conclure, c’est prolonger les conflits qu’elle a créés entre nous tous citoyens français et c’est s’interdire d’en tirer des leçons, d’admettre notre responsabilité à tous, de se pardonner les uns les autres et d’avancer ensemble.

Mais même en sachant tout cela, je continue d’avoir besoin d’en savoir plus et voilà pourquoi j’attendais Un Peuple et son Roi avec impatience. Peut-être y trouverai-je des réponses à toutes mes questions? Bon en réalité j’ai surtout trouvé un Gaspard Ulliel beau comme un dieu et un gros crush pour lui, mais ça, ça n’intéresse personne 😛 Le titre est ce qui a d’abord attiré mon attention. En effet, il montre que la problématique du film va être centrée sur les rapports entre la figure du roi et le peuple français: deux concepts majeurs de la période. Mais l’ordre des mots du titre est aussi très intéressant et montre par avance que le film a compris une bonne partie des enjeux de la Révolution: l’inversement du rapport de forces entre le Roi et son peuple. Je me suis donc dit immédiatement que ce devait être une bonne adaptation et que je risquais de ne pas être déçue et en effet, je n’ai pas été déçue.

Laissez-moi peut-être vous présenter rapidement le film au cas où vous ne l’auriez pas vu^^ Le film est construit sur trois axes principaux qui se recoupent de temps en temps mais que l’on suit simultanément:

  1. Le premier axe est celui de L’Assemblée Nationale, puis de la Convention. Le film est ponctué des discours des célèbres orateurs de la Révolution: Danton, Robespierre, Marat, Saint-Just et des séances de la Convention.un-peuple-et-son-roi-photo-niels-schneider-denis-lavant-1034951
  2. Ensuite, on suit également Louis XVI et la famille royale qui semblent ballottés d’événements en événements (ce qui est assez proche de la réalité historique…)1158263-_372_ups9430jpg.jpg
  3. On suit enfin un ensemble de personnages fictifs appartenant au peuple de Paris, les sans-culottes, les révolutionnaires, dont Basile (Gaspard Ulliel), Françoise (Adèle Haenel), L’Oncle et bien d’autres. unpeuple-couv.png

Cette construction permet d’instaurer une polyphonie très importante pour retranscrire assez fidèlement la voix de chacun des protagonistes de cette épopée qu’est la Révolution: le peuple, l’Assemblée, le Roi.

Tout d’abord, le film a, d’après moi, de nombreux points forts qui me font dire qu’il s’agit d’une fresque réaliste de la Révolution:

  • Les personnages sont très bien compris et ne sont pas transformés en caricatures d’eux-mêmes: Laurent Lafitte interprète de manière assez juste le personnage de Louis XVI, roi tiraillé entre l’héritage pesant et exigeant de ses ancêtres et la fatalité de la Révolution qui s’abat sur lui, homme maladroit en politique mais bon et conciliant avec son peuple. On voit bien dans le film la dichotomie entre Louis, l’homme qui est né roi sans l’avoir demandé, tentant de gouverner du mieux qu’il le peut et Louis XVI, incarnation de la figure et du pouvoir royaux, ce Louis XVI à qui la Révolution a dû couper la tête. Louis XVI n’était pas un despote sans vergogne et cruel, et ce n’est pas tant lui qu’il fallait mettre à mort que la monarchie à travers lui.lxviLe rôle de Robespierre dans ce film est détenu par Louis Garrel et je trouve qu’il a vraiment compris le personnage, en tout cas le Robespierre d’avant la Terreur, puisque c’est le seul qu’on voit étant donné que le film s’arrête quelques mois avant sa mise en place. Ici, Robespierre est ce jeune homme solitaire, toujours tiré à quatre épingles, qui observe avec recul les événements, écoute attentivement tout ce qui se dit à l’Assemblée et ne prend la parole qu’après avoir rédigé, révisé et révisé encore ses discours. Je dois dire que je suis restée un peu sur ma faim avec ce personnage, car au fond on ne le voit pas tant que ça et comme ce fût le cas il y a trois siècles, il est plutôt effacé. J’aimerais vraiment que Pierre Schoeller retente l’exploit d’un film sur la Révolution avec une suite, sur la Terreur, où le personnage de Robespierre prendrait toute son importance et sa dimension, car son histoire est loin d’être finie. Mais bon, aborder la Terreur en tant qu’artiste n’est pas une mince affaire et il est difficile, je pense de raconter cette partie de l’histoire de manière neutre, au plus proche de l’Histoire. Qui vivra verra…

Enfin les personnages de Gaspard Ulliel et Adèle Haenel, dont beaucoup pensent qu’ils sont inutiles dans le film, parce-qu’il ne font pas partie de la « grande histoire », sont à mon avis au contraire très importants. Ils permettent de donner un nom à ce qui n’en n’a pas: le peuple. Comment le cinéaste aurait-il pu, autrement qu’en ayant recours à des personnages isolés, attachants et fictifs et dont la fonction est presque allégorique, figurative ou du moins de représenter, de concentrer dans un nombre restreint et maîtrisable de personnages, l’entité abstraite et composée d’un très grand nombre de membres qu’est le peuple? Je trouve aussi que leur trame permet de rendre le film un peu moins indigeste pour les novices de l’Histoire et même pour tous les spectateurs en général. Parce-que si le film ne montrait que les séances de l’Assemblées, on risquerait peut-être de s’ennuyer un peu. Mais ces personnages, ont d’après moi surtout vocation à émouvoir le public et révèle, même si c’est fait de manière assez mesurée, le parti-pris, le point de vue du film sur la Révolution, qui se range plutôt du côté du peuple, parti-pris plutôt commun et politiquement correct. Ils permettent aussi d’introduire, de présenter le visage de la France nouvelle, de la France née de la Révolution, à travers le personnage de la fille de Basile et Françoise: Marie-France-Égalité (prénom révolutionnaire au demeurant assez courant).

  • Le seconde gros point fort du film d’après moi, est le fait qu’il reprend des extraits des vrais discours, de chansons populaires, que la mise en scène tente et réussit à recréer des œuvres picturales célèbres représentant les événements clefs de la Révolution, ce qui donne véritablement l’impression d’assister au déroulement de l’histoire devant nos yeux.
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Prise des Tuileries, 10 Août 1792
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Exécution de Louis XVI, 21 Janvier 1793
  • Ensuite, le film a le bon goût de ne pas en faire trop: si il a un côté épique, celui-ci reste modérée. Le film n’est pas trop sanglant, l’histoire d’amour est belle sans être mièvre et ne prend pas une place trop importante qui l’emporterait sur les événements historiques et surtout elle est cantonnée aux personnages fictifs (ce qui permet d’éviter une romantisation déplacée des personnages historiques dont il nous reste une trace), le point de vue est partagé entre les différents acteurs de la Révolution et pas tranché, etc.
  • Enfin, je retiens la délicatesse et la puissance symbolique de certaines scènes, comme celle de la petite va-nu-pied qui danse dans la neige puis dans les plumes envolées des oreillers des Tuileries ou celle du retour du roi à Paris après la fuite à Varennes où un petit garçon cache les yeux d’une statue de la liberté pour qu’elle ne voit pas le traître et participe au silence de mort qui accompagne le retour de la famille royale à Paris. Je trouve que la symbolique et les topos engendrés par la littérature et les arts qui ont touché à la Révolution est également savamment retranscrite dans le film.ob_6636e3_sans-titre

Bon pour finir, il faut bien que j’aborde les quelques points sur lesquels le film peut être critiqué même si, si Timothy Tackett, historien spécialiste de la Terreur, qui a tenu ce soir une conférence à la librairie Kléber de Strasbourg, en a parlé en bien, a affirmé que le réalisateur l’avait consulté ainsi que des archives, c’est que dans l’ensemble, il est vraiment, objectivement pas mal! Ces quelques points faibles sont, d’après moi, l’absence de la bourgeoisie, dont le rôle est pourtant crucial dans la Révolution, l’absence de Camille Desmoulins et de ces personnages « mineurs » (par rapport à des figures comme Robespierre, j’entends) et pourtant si importants et le fait qu’il soit peut-être un peu difficile d’accès pour les spectateurs qui ne seraient pas trop familiers avec les différents épisodes de la Révolution ou avec ses enjeux les plus complexes du fait du ryhtme assez rapide que le film impose et des nombreuses références qui sont mobilisées. Mais finalement, un film reste une œuvre d’art et ni l’exhaustivité, ni une rigueur historique parfaite ne sont exigibles d’une œuvre d’art.

Quoi qu’il en soit, je crois vraiment que ce film est une des recompositions les plus fidèles, les plus neutres, les plus proches de la réalité historique et les plus inspirantes au sens où il nous projette à cette époque et nous donne l’impression d’y être nous-même. La révolution est représentée « à hauteur d’homme » comme l’a dit ce soir le célèbre historien de la Terreur. Ce que ce film prouve c’est que même si, de nos jours, on commence à pouvoir prendre du recul et à voir la Révolution à travers les yeux de l’Histoire et plus tant de la politique, elle reste un sujet vivant, un sujet qui n’est pas éteint et qui n’est pas près de s’éteindre, pas tant que des gens comme Pierre Schoeller, Timothy Tackett ou même moi du haut de mes 20 ans continueront de s’interroger à son sujet, de la faire vivre à travers des œuvres d’art, des thèses ou de modestes articles de blog, comme celui que vous venez de lire.

J’espère que cet article vous aura  donné envie d’aller voir le film, ce serait vraiment bien qu’il fasse pas mal d’entrées au cinéma pour qu’il soit possible de produire plus de films comme celui-ci en France (bon le financement du cinéma en France ce sera pour un autre article ahah) mais c’est important d’encourager et de faire fonctionner des projets comme celui de Pierre Schoeller. En tout cas si vous hésitez entre aller voir ce film ou Alad’2, je vous conseille sincèrement de dépenser ces 8€ pour soutenir Un Peuple et Son Roi, il va sans dire qu’en plus vous passerez un très bon moment et que le film vaut la peine d’être vu sur grand écran!

À bientôt les amis!

Maurine ❤

2 commentaires Ajouter un commentaire

  1. Jeanne dit :

    Ben dis donc tu me motives à aller le voir, moi qui n’ait vu pour l’instant que des critiques négatives ! On en reparlera quand je l’aurai vu en tous cas très bonne critique de cinéma !

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    1. To Days of Inspiration dit :

      Merci beaucoup Jeanne, j’ai hâte qu’on en parle ensemble et de voir ce que tu en penses 😉

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