Hello tout le monde!
Aujourd’hui, je vais vous présenter un livre que je n’attendais pas mais qui entre fièrement dans la collection des livres chers à mon cœur. Contrairement aux livres dont je vous ai parlé précédemment, je ne sais pas trop par où commencer avec celui-là. Bien sûr, il y a des choses à dire sur le style, énormément de choses même, et sur cet œuvre comme objet littéraire, mais avant d’intriguer ma raison, elle a surtout touché ma sensibilité.
Il y a des années de cela, en classe de cinquième, j’ai fait un voyage scolaire dans l’Aveyron qui m’a profondément marquée. Le but de ce voyage était non seulement d’illustrer nos cours d’histoire médiévale et de géologie en SVT, mais aussi, comme j’étais dans un collège privé catholique (bien que je ne le fus pas moi-même), de nous faire découvrir l’univers des pèlerins de Saint-Jacques-de-Compostelle. Après des heures de bus, nous avons commencé la première matinée en Aveyron par une randonnée d’une dizaine de kilomètres sur le chemin de Saint-Jacques qui nous a conduits jusqu’au merveilleux village enchâssé dans les montagnes où nous allions loger toute la semaine: Conques. Nous sommes entrés dans le village par des rues sinueuses où se dressaient des maisons de pierres aux toits sombres, entrecoupées de rosiers magnifiques, séparées par des rues pavées de grosses pierres argentées qui brillaient sous le soleil écrasant de midi. Notre effort fut récompensé par l’accueil inoubliable que nous réservait l’abbatiale majestueuse. Après un déjeuner bien mérité et notre installation à l’auberge, nous avons visité Conques avec un guide, qui nous a raconté toutes sortes de légendes merveilleuses: le ravissement des reliques de Sainte Foy à Agen par le moine Audaldus et les vertus curatives de la fontaine du Plô. Puis, nous avons pu pénétrer pour la première fois dans l’abbatiale, admirer les tapisseries décrivant le martyr de Sainte Foy, le retable doré splendide au fond de l’abside centrale, les vitraux d’albâtre de Pierre Soulages. Mes yeux pétillaient d’émerveillement. Durant le reste de la semaine, nous avons visité tout l’Aveyron: châteaux forts, caves à Roquefort, découverte du Dourdou en canoë, randonnée au col du Bozouls, voyage en bus sur le viaduc de Millau, chasse au trésor dans le village fortifié de la Couvertoirade, et ainsi de suite. Mais les moments qui m’ont le plus marqués de toute cette aventure, furent les moments passés à Conques. Le soir de notre arrivée, des moines nous ont présenté le tympan de l’église. Nous étions tous assis en cercle sur la place, les yeux levés vers les figures décolorées des anges et des démons, qui nous surveillaient du haut du tympan. Nous avons eu la chance incroyable de voir le trésor de l’abbaye (je dis une chance immense parce-que personne n’y a jamais accès, le trésor est gardé par une porte blindé et il y a une alarme à l’entrée qui est directement reliée au poste de police au cas où quelqu’un essayerait d’y entrer par effraction!), une pièce recelant toute sortes de pierreries, d’objets précieux et de reliques d’une valeur inestimable. Enfin le dernier moment qui m’a profondément marquée, c’est la messe des pèlerins qui a eu lieu le jeudi et à laquelle nous avons pu assister. Pour quelqu’un comme moi qui n’ai pas du tout été élevée dans cet univers et qui n’avais jamais été confrontée aux mystères de la foi, ce moment et la rencontre de ce village en général ont été le point de départ d’un questionnement qui m’habite toujours, un questionnement sur la nature de la foi et sur ce que cela peut bien faire de la ressentir. Et en même temps, alors que je n’étais pas chrétienne, j’avais l’impression d’être chez moi dans le creux de cette abbatiale et à Conques. Je me sentais la bienvenue et j’avais la sensation de faire partie, de l’extérieure comme observatrice, et de l’intérieur comme participatrice, de l’histoire, de ceux qui avaient été sur le chemin de Saint-Jacques et qui était passés à Conques. Dans ma tête, les rues étaient peuplées de milliers de gens qui étaient passés par là au cours des neuf derniers siècles. Conques est un endroit vraiment spécial, qui a une aura et où, chrétien où non, on est mis face à face à la fois avec la puissance de la foi et sa modestie. Je me suis toujours promis d’y retourner et en dix ans, ce n’est toujours pas chose faite… J’espère que je pourrais faire le chemin de Saint-Jacques en entier à un moment dans les prochaines années, c’est vraiment un de mes plus grands rêves, car nulle part ailleurs n’ai-je ressenti ce que j’ai ressenti à Conques.
Et c’est précisément ce dont La nuit du cœur de Christian Bobin parle. De Conques et de l’effet que la ville peut vous faire. Des milliers d’éclats de lumières dont elle éblouit vos yeux et votre cœur.
« À Conques, on lève la tête pour voir au fond de soi. »
Je ne dirais pas que ce livre m’a transportée là-bas, à Conques, comme l’aurait fait un roman ou un récit de voyage, je dirais plutôt qu’il m’a ramenée à la Conques qui est ancrée en moi, à l’effet qu’elle a eu sur moi depuis des années, et ça c’est très fort. Un livre qui n’évoque pas un endroit sur terre mais un endroit en vous. Je ne sais pas si quelqu’un qui n’y ait jamais allé apprécierait ce livre de la même manière que moi et que, j’imagine, ceux qui y sont allés, mais je pense qu’il peut plaire à tous les amoureux de la poésie et du langage, car ce livre a plus d’un thème. Conques n’en est pas le seul objet, elle est plutôt la génératrice de cette œuvre, c’est elle qui a inspiré ce livre à l’auteur.
« L’abbatiale de Conques est un aimant puissant. Mes songes se plaquent sur ses parois, attirés par le vide qui bourdonne à l’intérieur. »
Cet ouvrage est composé de 104 « chapitres » , mais je ne sais pas vraiment si il faut dire chapitres, car ils ne font jamais plus de deux pages et contiennent quelques fragment de prose poétique. Peut-être vaudrait il mieux les appeler des poèmes en prose, l’auteur parle de « 104 attaques de lumières« , « 104 ouvertures dans [sa] pensée » et ils représentent en réalité les 104 vitraux de l’abbatiale. Moi, ces petits textes m’ont fait penser à des micro-tropismes, des sensations que l’on ne pense pas avec des mots mais qui s’écrivent, des flashs de lumière, des phrases-fleurs qui éclosent au soleil des vitraux d’un abbatiale vivante. La moindre phrase de ce livre est sublime et allume, capture quelque-chose au fond du cœur. Ce texte est donc une lettre d’amour à l’abbatiale de Conques, mais aussi un texte sur l’écriture, sur le livre, sur l’évènement du langage. Je pourrais faire un commentaire composé à propos de ce livre mais je ne vais pas le faire. Je tiens à ce qu’il garde son mystère et à faire justice à l’inspiration, au souffle inexplicable qui y passe. Ce n’est pas un livre que j’ai envie d’expliquer, c’est un livre-expérience, un livre à vivre.
Alors je vais partager avec vous quelques-unes de mes phrases préférées, celles qui m’ont donné envie de corner les pages de ce beau livre.
« Une bougie qui rêve, une pluie qui écrit et un renard qui dort travaillent tous les trois à la recréation du monde. »
« Les dieux veulent écrire. Et les diables. Et les pavés, de Conques à Saint-Sulpice. Ils approchent sans un bruit, mettent leurs mains fantômes sur nos yeux: ‘Qui est-ce?’ Ecrire est la réponse. »
« Les pierres de Conques respirent très lentement. Un siècle passe entre une expiration et l’inspiration suivante. »
« J’ai atteint à Conques le centre muet du vrai langage. »
« Je ne veux plus écrire que des lettres d’amour pour entendre le bruit qu’elles font quand on les déchire. […] C’est en écrivant que j’entends tout. »
« Un livre s’avance dans le noir. Une abbatiale construite à flanc de langage. »
« Les œuvres issues du vide ont une grâce comparable à celle du vent sur un champ de blé. Elles sont le vent, elles sont le champ. Elles ne parlent pas. Elles donnent à voir les cordes d’un silence. »
Avec ses 104 poèmes, ce livre se transforme en la célèbre abbatiale de Conques, lui devient étroitement liée, cette abbatiale aux 104 vitraux transparents et opaques, qui éclairent l’intérieur de l’édifice et cachent à celui qui s’y trouve tout ce qui est au delà. J’ai depuis l’époque de mon premier voyage à Conques, un album sur cette ville dans lequel il y a plein de belles photographies du village et de l’église. Je viens de relire le passage sur les vitraux et j’y ai à ma plus grande surprise trouvé des citations de Pierre Soulages qui expliquent son intention en réalisant ces vitraux. Les voici:
« Je suis un peintre abstrait et mon travail est étroitement lié à la lumière. J’ai donc cherché à concevoir des vitraux comme source de lumière. »
« J’ai senti instinctivement qu’il fallait des lignes fluides, des mouvements obliques et des courbes aspirées vers le haut pour rythmer la lumière. »
Je ne sais pas si Bobin avait connaissance de ces paroles de Soulages, mais il me semblent qu’elles s’appliquent aussi très bien à son propre travail dans ce livre. En fait, Christian Bobin écrit les vitraux de l’abbatiale de Conques. Je trouve ça vraiment incroyable.
J’espère que j’aurai pu vous donner envie de vous plonger dans ce livre-abbatiale, même si je sais que je suis loin de lui avoir fait justice. En tout cas, c’est pour l’instant celui qui m’a le plus touché de ceux que j’ai lus depuis le début du confinement. Je suis souvent frileuse à l’idée de lire des livre contemporains, récents, de peur de perdre mon temps et j’ai tendance à me réfugier dans les classiques, en me disant que même si je n’aime pas particulièrement ce livre, j’aurais tout de même lu, quoi qu’il arrive, un « bon » livre. Mais après avoir lu ce livre, je vais retenir la leçon: il reste de brillants artisans du langage dans notre monde d’aujourd’hui.
Bon dimanche à tous!
Maurine ❤
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